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Retrouver la liberté en amourmardi 24 septembre 2002, par |
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Dans notre vie amoureuse, ne répétons-nous pas indéfiniment des rôles que nous n’avons point écrit ? Sommes-nous plus libres, en tant qu’amants, que lorsque nous jouons la comédie sociale, dans nos fonctions de patrons, secrétaires, enseignants...? En principe, la vie dite intime pourrait être le lieu de l’invention et du déploiement de nos diverses potentialité. Et pourtant...
Les Bidochons de Binet semblent devenus l’idéal auquel aspire une société unanime ! Car quoi de plus ringard que tous ces jeunes couples entre 20 et 35 ans, qui vont au supermarché le samedi, déjeunent chez papa-maman le dimanche, et poussent la dépendance à partir en vacances ensemble ? Cette vie bien rangée se mène souvent depuis le lycée, et c’est la mise en pratique d’une idéologie typiquement pétainiste : surveillance mutuelle, fidélité, restriction des expériences ! Même ceux qui n’ont pas réussi à établir une telle relation y aspirent, comme si c’était un idéal et non, au mieux, un arrangement plus ou moins sécurisant. D’où vient qu’un système de couple si réactionnaire non seulement soit devenu l’idéal de toute une société, mais ne soit même plus dénoncé comme limitatif, et qu’il n’y ait pas de contre-modèles proposés ? Pourtant, la contestation des valeurs traditionnelles, les échanges culturels, les vagues migratoires et même la mondialisation, devraient nous inciter à une liberté d’invention amoureuse. Enfin, on échappe au village, au qu’en-dira-t-on des voisins, à la pression du groupe... Et bien sûr, la possibilité érotique s’alimente de mille nouvelles rencontres entre milieux, modes de vie différents, couleurs et saveurs ! Qui veut bien s’essayer à être libre peut réinventer sa sensualité, et choisir entre une grande palette de pratiques. Le sida a bien sûr causé un mouvement de repli, mais parlons crûment : y a-t-il obligation d’adopter un mode de vie réactionnaire parce qu’on ne peut plus pratiquer sans précautions la pénétration anale ou vaginale ? D’ailleurs, une fois que ces messieurs savent enfiler un préservatif, cette maladie n’impose pas une façon de vivre stéréotypée. Mais il faut aller plus loin. L’existence des risques dans la pratique sexuelle banale devrait encourager la créativité amoureuse et sensuelle : après tout, il n’y a pas que la pénétration ! La meilleure idée contre la menace n’est pas le préservatif, mais la sensualité et le flirt : ainsi, il existe depuis des années des groupes de "massage sensitif", activité initiée par Claude Camilli et comportant tout à la fois l’effleurement tendres et l’échange de paroles... Au lieu de nous obséder sur la pénétration et ses dangers, les campagnes et les films de prévention devraient montrer l’existence de telles pratiques, prouvant que l’on peut s’épanouir sans risques, jusqu’à un certain point du moins. Ainsi, ce n’est pas le sida qui nous oblige à un mode de vie unidimensionnel, c’est la société qui utilise cette grave menace pour imposer un modèle bien précis. En plus du HIV, on utilise pour faire taire les voix discordantes un mythe sous-jacent : la normalité ! Le couple est normal, ceux qui n’en veulent pas ou proposent de vivre autrement sont des "anormaux", des malades en somme, et cette peur diffuse d’être considéré comme "anormal" empêche les rares personnes qui auraient une vélléité d’invention amoureuse de s’exprimer. On constate aisément la réaction de malaise, profonde et diffuse, lorsqu’on propose une relation différente. Si vous dîtes qu’il y a en vous plusieurs personnalités, et que vous souhaitez vivre des amours multiples mais durables, par exemple laisser croître simultanément 3 relations amoureuses, quelle partenaire pourra l’accepter ? La jalousie est considérée non seulement comme "allant de soi", et même comme un affect sain, qui ne doit pas être remis en question, ni être comparée à l’instinct de propriété ! Dès que l’on ose discuter le couple fermé, on favoriserait le divorce, "comme la génération de 68". Mais soyons lucides : les jeunes gens qui vivent depuis l’âge de 16 ou 17 ans ensemble, et font des enfants à 21-22 ans, divorcent-ils moins ? Sont-ils fidéles ? Eux aussi ressentent la lassitude, et se trompent hypocritement, introduisant même le risque du sida par peur d’avouer leurs frasques ! Tous ces cas montrent à l’évidence que le couple traditionnel n’est pas plus viable que des formes différentes, et n’a pas le droit d’interdire d’autres façon de vivre un amour. D’autant que l’espérance de vie se rallonge. Si nous sommes conduits à vivre 80 ou 90 ans, comment croire encore en l’idéal sacro-saint du mariage ? Ne serait-ce pas plutôt un mirage ? Qui supposera sérieusement qu’il va résister avec une même personne 50 ou 60 ans, à supposer qu’ils se marient vers 25 ans ! Les faits sont là : difficile de croire dans le mariage "éternel", mais personne n’ose repenser cette noble institution ni poser le problème ! Il faudrait en être à concevoir des "mariages biodégradables", prévus pour un temps relatif et aptes à être dissous d’une façon intelligente. Au lieu de cela, on continue à contracter une union prétendument "pour la vie" en sachant déjà qu’elle sera rompue quelques années plus tard ! Et tout ce gâchis pour le plus grand bonheur des avocats et le déchirement des enfants. Personne n’est préparé à l’évidence. Pourtant, la croissance des divorces, des "familles" monoparentales ou les nouveaux couples bisexuels et ouverts, devraient incliner à une prise de conscience globale. Non, il n’y a pas qu’un modèle de vie commune. Non, il ne faut pas desespérement chercher à se conformer à une image dépassée, qui avait un sens dans un autre type de société, dans un village, une communauté soudée et croyante. Car ne l’oublions pas, le mariage est d’abord un sacrement, ayant une signification religieuse, et il était soutenu par la pression sociale de la collectivité. Alors, une fois le système de valeurs religieux abandonné, et sans contrainte du groupe sur l’individu pour faire respecter ce contrat, pourquoi continuerait-on à s’y référer ? Notons un autre fait. Dans les sociétés traditionnelles, plusieurs générations vivaient ensemble, parents, enfants et petits-enfants cohabitant. Cette vie communautaire permettait au couple de s’échapper, la multiplicité des âges et des personnes enrichissaient chacun affectivement et intellectuellement. Ce n’était pas "papa, maman, la télé et le chat", mais toute une collectivité familiale avec ses amis, tantes, cousins, frères, grands-parents, qui évitaient l’ennui et le huis-clos. Quand la famille se réduit à deux parents et un enfant, cette pauvreté relationnelle condamne les membres à s’éparpiller ailleurs ! Donc, là encore, la famille moderne n’a plus de sens, sauf à recréer de nouvelles communautés affectives et solidaires. Vouloir remplacer le mariage par des formes innovatrices n’est pas une réaction d’anormal, mais un projet révolutionnaire qui a toujours eu ses partisans. De même, dans le domaine des jeux sensuels, on retrouve aussi le mythe de la normalité. La moindre tentative de relation qui sort du schéma suscite le soupçon. Essayez de demander à une fille si elle voudrait jouer à lutter ou recevoir un massage sensitif, deux pratiques purement non-sexuelles et où chacun pourra rester en partie vêtu, premier point, elle n’aura jamais entendu parler de telles pratiques ; maintenant, si elle sait ce dont il s’agit et même si cela l’attire, bien peu se l’avouera et assumera cette expérience, de peur de se juger elle-même comme anormale, voire frigide ! De plus, elle vous soupçonnera de ne pas être sincère, et de cacher derrière une proposition biscornue un prétexte pour aboutir à une relation sexuelle. Il est entendu que "tout le monde" n’aspire qu’à un certain type de rapport physique, à savoir l’acte sexuel assaisonné de quelques préliminaires, et que la sensualité et les multiples jeux ambigus, toute la zone qui s’étend entre l’effleurement et la caresse ne peuvent être exploré pour eux-mêmes... On pourra rétorquer qu’il existe heureusement des pratiques originales, d’ailleurs de plus en plus "en vogue", par exemple la bisexualité ou le SM, le voyeurisme, les exercices du tantrisme, la lutte mixte... On trouve même à Paris un club où des hommes et des femmes pratiquent des combats érotisés, comme ce qui se passe de plus en plus dans le monde anglo-saxon. Dans un genre très différent, il existe désormais en France, comme en Suisse, des cours de taoïsme, inspirés par Mantak Chia, avec exercices de visualisation, de respiration et de sensualité, en vue de déclencher des commotions énergétiques. Effectivement, pourquoi se restreindre ? Au niveau sensuel, explorons, et du moins faisons connaître l’existence d’une riche variété de pratiques, allant de la caresse légère à l’énergétique du taoïsme et de la méditation sensuelle... Ce chemin pourra constituer une période préliminaire à la fondation d’un couple stable, une façon de se connaître et d’élargir sa capacité à aimer et à caresser. Mais une telle exploration peut dépasser la simple phase du jeu érotique et nous amener à remettre en cause le couple classique. Imaginons de nouvelles structures affectives, conjuguons le multiple et le durable, faisons rimer l’hétéro et l’homo, la fidélité avec la diversité ! Nous verrons pour cela que l’on peut s’inspirer tant des expériences récentes ou communautaires du socialisme utopique que de l’amour courtois au Moyen-Age ! Affirmons que l’on peut être équilibré sans s’enfermer dans le couple traditionnel, et épanoui sans nécessairement préférer à tout la pénétration sexuelle normative. Pour réussir cette évolution des esprits, il nous faut résister à la propagande des médias et du cinéma. Il est étonnant de voir à quel point celui-ci notamment véhicule une imagerie purement réactionnaire (désolé de réintroduire cette vieille mais adéquate notion). Le couple hétéro y est bien sûr omniprésent, mais si par hasard il y a l’idée d’un trio, cette "extraordinaire" tentative d’être trois deviendra le sujet du film. On produira au mieux du "Jules et Jim" en moins talentueux, sans aucune évolution en une vingtaine d’années ! Au lieu de montrer, par exemple comme élément de décor, des gens qui vivraient autrement, un couple homosexuel, ou interracial, ceci fait l’objet de certains films, soulignant le caractère exceptionnel et incertain de ce qui échappe à la norme sexuelle. Maintenant, prenons les films grand public. Dans les séquences suggérant la relation sensuelle, les images propagent systématiquement une pratique stéréotypée. Quand on voit un homme et une femme (évidemment habillés ou sous des draps, mais là n’est pas la question) la plupart des films américains montrent d’abord les amants s’embrassant sur la bouche, puis on comprend que l’homme touche les seins de la femme et enfin il finit par se coucher sur elle. Quand par hasard il est suggéré que c’est la femme qui peut-être chevauche l’homme, vous pouvez être sûr d’une chose : vous tenez une méchante ! Normal, de la part d’une telle anormale ! Pourquoi certains plans n’évoquent pas de temps en temps que l’ homme s’agenouille devant une femme ? Sans aller aussi loin dans la "perversion", on pourrait entrevoir des images où le héros embrasse sa partenaire le long du dos. Mais non ! La séquence consacrée aux rapprochements sensuels est tellement stéréotypée qu’on a très peu de chances d’y voir des gestes de ce style, même s’ils n’ont rien de "hards". Le cinéma grand public nous impose une séquence gestuelle amoureuse limitée et répétitive, codée d’une façon rigide, et où le fétichisme, le SM et les autres jeux ne sont presque jamais suggérés. Ainsi, la sexualité est réduite à ses constituants les moins pervers, c’en est presque le culte de l’acte pour la procréation, sans fantaisie ni jeux, à la manière de la religion catholique ! L’analyse des revues, des débats publics, montrerait sans doute aussi une propagande diffuse pour le couple traditionnel, et pour un certain style de rapports physiques. Mais je laisse le soin à d’autres de reprendre cette enquête ! Il est temps de se réveiller, et d’affirmer notre liberté, non pas pour prendre des risques inconsidérés avec le sida, mais pour redécouvrir la sensualité, le flirt, et l’ouverture aux autres, qui existe enfin lorsqu’on décide d’inventer - un peu - sa vie ! |
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Auteur(s) Emmanuel J. Duits Les Utopies Concrètes Instigateur des Utopies Concrètes |
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